Fallait bien que ça arrive
Depuis le temps que je parasite la
blogosphère, garder le silence plus longtemps aurait tenu de
l'incivilité. Alors évidemment, après presque une année dans les
coulisses, exposer ses motivations pour le lancement d'un blog n'est
plus trop de mise. Disons qu'à la longue, rebondir sur des posts tiers
pour exprimer ma propre pensée commençait à devenir fastidieux. L'heure
est peut-être venue de m'offrir les coudées franches.
Je me
souviens qu'il y a quelques années, j'avais procédé de manière
similaire lors du premier boom des téléphones portables. Je pestais
contre ces engins parce qu'autour de moi, tout le monde semblait
succomber à ce besoin nouveau sans se soucier de sa vraie utilité. Par
troupeaux entiers, mes pairs se jetaient sur les premières générations
de Nokia bi-bande comme une nuée de criquets sur un champ de maïs. Et
moi, je les regardais de haut, me drapant dans ma fierté de
consommateur critique - ou plutôt de non-consommateur rebelle. Je
n'avais pas de mots assez cruels pour ces numérisés de la première
heure qu'on voyait déambuler dans les artères commerçantes des grandes
métropoles et qui semblaient parler tout seuls - avant qu'on
n'aperçoive l'oreillette de leur kit mains-libres, parfaitement inutile
quand on se balade les mains dans les poches en plein mois de juin. Je
n'avais que mépris pour cette culture du paraître qui dictait à mes
semblables d'appeler, depuis un lieu aussi public que possible,
n'importe qui sans rien avoir à lui dire. Et un jour, pas trop fier,
j'ai rejoint le troupeau en acquérant mon premier portable. Et tous mes
sarcasmes se sont retournés contre moi.
La comparaison avec la
blogosphère est évidemment imparfaite. Si la nuée de blogueurs
ressemble à s'y méprendre à celle qui prenait d'assaut les boutiques
SFR il y a cinq ans, ses motivations ne sont pas consuméristes. Et le
besoin auquel répond un blog est aussi vieux que le monde ; personne ne
l'a créé. Faute de quoi, soyons en sûrs, la création d'un blog serait
un acte aussi gratuit qu'un forfait Bouygues Télécom. Blogosphère et
téléphonie mobile sont pourtant de lointains cousins puisque
l'une et l'autre répondent à une vocation ultime de communication. Mais
à un repas de famille, ces deux cousins-là n'auraient sans doute pas
grand chose à se dire. Car là où le portable ne se conçoit qu'en termes
d'efficience, de mobilité physique et de visibilité, le blogueur ne
fait que perdre son temps, immobile devant son écran, généralement seul
et dans l'anonymat. Cependant, alors que l'abonné Orange s'exhibe, le
blogueur se livre. Et alors que le portable révèle toute l'étendue de son
utilité quand Madame Truc se rend compte qu'elle peut rappeler à son
mari de ramener un fenouil en rentrant du bureau, le blog ouvre la voie
aux découvertes les plus inattendues et aux rencontres les plus
improbables.
De ce fait, je n'ai jamais commis le moindre
sarcasme à l'égard du phénomène blog. On ne peut pas invariablement
paraître stupide en changeant d'avis.